ACTE 1 Scène 3
(Marie-Chantal, Charlotte)
Charlotte :
Hiiiiiiiiii !
Une des aides soignantes sort de
l’ascenseur et après avoir poussé un cri de défoulement.
Marie-Chantal :
(Sortant à son tour de l’ascenseur en
riant et lui tapotant gentiment dans le dos) Allons, du calme Charlotte. Ce
n’est rien, juste les premières heures.
Charlotte :
Ils vont me rendre chèvre !
Marie-Chantal :
Ils sont juste un peu pénibles à coucher mais ça va se calmer maintenant.
Elle va rallumer les lumières.
Charlotte :
On nous avait pourtant préparés à ça à l’école. « Je veux faire
pipi »…elle pisse trois gouttes et retourne à son lit. A peine couchée :
« Vous pouvez laisser la lumière de la salle de bains »….Une
autre : « J’ai trop chaud, ouvrez la fenêtre »….
« Finalement il fait froid…refermez-la mais pas trop »….Un autre
résident : « J’aimerais bien une petite gâterie avant de me
coucher »….Moi : « Ça ne va pas, non ? »…Lui :
« Les autres le font bien »….C’est une blague, j’espère ?
Marie-Chantal :
Ah ! C’est Monsieur Delaroche ! Hi, hi ! Oui, bien sûr, dans ses
rêves les autres le font…enfin, je crois…ou alors je ne suis pas au courant…
Charlotte :
Ah oui mais moi…moi je fais juste un remplacement… Je ne sais pas si je vais
tenir le coup, moi.
Marie-Chantal :
Allons. Rassures-toi. Ils sont juste un peu anxieux avant d’aller se coucher.
Certains ont même la frousse de ne jamais se réveiller, c’est dire. Allez,
calme-toi, regardes les poissons.
Elle l’emmène devant l’aquarium.
Charlotte :
Tu me prends pour une débile ou quoi ?
Marie-Chantal :
Non, non…c’est thérapeutique. L’infirmière en chef a fait mettre des aquariums
un peu partout. Elle a lu quelque part que ça apaise les résidents.
Charlotte :
Ah ouais ? Et bien, elle ferait mieux d’en mettre dans les quatre-vingt
chambres de cette résidence.
Marie-Chantal rit puis hausse les
épaules avant d’aller vers la porte du réfectoire.
Marie-Chantal :
Tu exagères, certains sont autonomes et très faciles.
Charlotte :
Où tu vas ?
Marie-Chantal :
Nous préparer un petit café et un petit encas avant d’attaquer la deuxième
moitié de la nuit. On l’a bien mérité. (Lui
désignant l’aquarium) Toi, poissons !
Charlotte se met face à l’aquarium et
donc dos au public, tandis que Marie-Chantal disparaît.
Charlotte :
(Pour elle-même) Je sens que je ne vais
pas rester longtemps ici, moi. (Elle
jette un œil vers la porte du réfectoire, soupire et sort un paquet de
cigarettes) Et merde pour le règlement !
Elle l’allume et fume de façon agacée.
Son portable émet un bip.
Marie-Chantal :
(Depuis le réfectoire) Café ou
thé ?
Charlotte :
Café, s’il te plaît. (Regardant son
portable qui vient de biper) Tiens ? Lucie. «Comment ça se
passe ? » (Elle tapote sur son
portable en venant s’asseoir sur le canapé) « Un enfer… faudrait pas
vieillir…Et toi ? »
Marie-Chantal :
(Voix depuis le réfectoire) Glace ou
salade de fruit ?
Charlotte :
Hein ?
Marie-Chantal :
(répétant) Glace ou salade de
fruit ?
Charlotte :
Glace, je veux bien…mais on a le droit de bouffer des trucs de la
réserve ? (Nouveau bip sur son
portable, elle lit) « Pas mieux ».
Marie-Chantal revient bientôt avec un
chariot roulant, contenant cafetière et coupe de glaces. Elle voit la cigarette
de Charlotte.
Marie-Chantal :
C’est interdit de fumer aussi mais toutes les filles qui passent de nuit se
servent dans la réserve. On a un accord avec le cuisinier.
Charlotte :
Quel accord ?
Marie-Chantal :
Il ferme les yeux sur ce qu’on prend et on ferme les yeux sur sa relation
extraconjugale avec une ASH.
Charlotte :
Ah ok…pratique ça. (Elle lui tend son
paquet) Tu en veux une ?
Marie-Chantal :
Non merci je ne fume pas. Qui c’est à l’autre bout de ta messagerie ?
Charlotte :
Lucie. Une copine qui a fait l’école d’infirmière avec moi. Elle a commencé son
métier dans un hôpital mais dans un autre département. Nous sommes restés en
contact et me demandait comment ça se passait. Apparemment, chez elle aussi ce
n’est pas la joie.
Marie-Chantal :
Tu verras, c’est une question d’habitude. Alors café tu m’as dit ? Du
sucre ?
Charlotte :
Oui, je veux bien. Et la glace, c’est quoi ?
Marie-Chantal :
Poire-Belle Hélène. Et ton concours d’infirmière, tu l’as raté de beaucoup ?
Elle la sert. Charlotte pose sa
cigarette sur le rebord de la table après avoir vaguement cherché un cendrier
inexistant.
Charlotte :
Non. Et je vais retenter l’examen l’an prochain. Mais là, il fallait que je
travaille. Mon banquier commençait à faire la tronche donc j’ai accepté ce
remplacement en intérim. C’est en dessous de mes compétences mais j’ai
l’impression d’être bonne à rien.
Marie-Chantal :
Mais non. C’est juste le premier soir. Allez savoures. (Plaisantant) Je te bichonne, tu seras peut-être ma chef l’an
prochain.
Charlotte :
Qui est-ce que je remplace au fait ?
Marie-Chantal :
Ah…ça…vaut mieux pas la connaître…je préfère être avec toi-même si tu es
nouvelle. Elle a un arrêt d’au moins trois mois…
Charlotte :
Lumbago ?
Marie-Chantal :
Poil dans la main…
En buvant son café, Charlotte jette un
coup d’œil au plateau de scrabble.
Charlotte :
Dis-donc, il y en a qui sont balèzes chez vous, deux scrabbles dans la même
partie….
Marie-Chantal :
Ah oui, ça doit être Nestor et ses copines. Ils sont veufs tous les trois. Ils
aiment bien jouer ici…ils sont très joueurs d’ailleurs…
Charlotte :
Je croyais qu’il y avait une salle pour les loisirs ?
Marie-Chantal :
Oui. Mais je pense que la télé les empêche de se concentrer. Et ils adorent la
vue ici.
Elles fixent devant elles, face public.
Charlotte :
On voit que dalle. Il fait noir.
Marie-Chantal :
Il y a un lac juste en face. Mais c’est couvert, on dirait qu’un orage se
prépare.
Charlotte :
Oui…Ils ont annoncé de la pluie cette nuit.
Marie-Chantal :
(Secouant la tête) C’est embêtant.
Certains résidents vont être nerveux.
Charlotte :
Ils ont peur de l’orage ?
Marie-Chantal :
Oui. En quelque sorte.
Charlotte :
Comment ça en quelque sorte ?
Marie-Chantal :
En fait, il y a quelques années les plus anciens ont connu un événement
tragique. Et c’était une nuit d’orage.
Charlotte la regarde sans rien dire dans
le fond des yeux puis pointe son doigt vers elle.
Charlotte :
Toi, tu essayes de me foutre les jetons…
Marie-Chantal :
Non pas du tout.
Charlotte :
Si, si. C’est le 31 octobre. Le soir d’Halloween. On nous avait prévenus à
notre formation qu’on allait essayer d’avoir les petites nouvelles avec des
histoires qui foutent les jetons.
Marie-Chantal :
Non, je t’assure.
Charlotte :
En plus, ici, ça s’appelle «la résidence des cheveux blancs », autant
dire que c’est du pain béni pour les anciennes comme toi.
Marie-Chantal :
Ah mais non. Il y a vraiment eu un truc horrible, il y a quelques années.
Charlotte :
Je l’entends d’ici ton histoire, une jeune stagiaire est descendue seule à la
chaufferie et on l’a retrouvé au petit matin baignant dans le lac, égorgée par
un inconnu.
ACTE 2 Scène 2
(Honorine, Yvette, Nestor, Mr Ledoyen)
Un éclair illumine le ciel, on entend un
coup de tonnerre et la pluie sur le toit.
L’ascenseur s’est remis en marche,
montant à l’étage. Il redescend au bout d’un moment.
Nestor en sort, déguisé en créature de
Frankenstein, visage et mains peints en vert, avec de fausses cicatrices, suivi
d’Honorine, déguisée en sorcière du Magicien d’Oz et Yvette, couverte de
bandelettes telle la momie.
Ils se placent face public, derrière le
canapé.
Nestor
– Tremblez,
pauvres mortels. En ce moment funeste, pas de cris, ni de « Ah », ni
de « Ouille ». Vous aurez juste la trouille durant la nuit
citrouille.
Il regarde autour de lui tandis
qu’Honorine répète l’incantation.
Honorine
– Tremblez,
pauvres mortels. En ce moment funeste, pas de cris, ni de « Ah », ni
de « Ouille »….
Nestor
– Mais…
Où sont-elles passées?
Honorine
– Hein ?
Nestor
– Marie-Chantal et la petite nouvelle ? Elles
devaient attendre ici.
Honorine
– Ah
oui, c’est vrai, c’est ce que nous avait dit Marie Chantal…
Nestor
– C’est embêtant, ça gâche notre surprise…
Ils aperçoivent soudain le directeur
dans le canapé. Ils sursautent dès qu’il bouge, se réfugiant tous les deux de
chaque coté de l’aquarium. Yvette reste près du canapé.
Nestor
– (Murmurant) Qu’est-ce qu’il fait là lui ?
Honorine
– (Même jeu) Je ne sais pas….Nestor ?
Nestor
– Quoi ?
Honorine
– Il
y a un mégot dans l’aquarium.
Yvette
– Mégot ?
Elle fouille entre ses bandelettes et en
sort une cigarette avant de refouiller pour dénicher un briquet. Nestor se
précipite.
Nestor
– Yvette !
Non ! Tu vas prendre feu avec toutes tes bandelettes.
Yvette
– Laissez-moi !
J’ai un mot du médecin.
Ils s’emmêlent les mains et les bras.
Nestor arrive à lui arracher la cigarette et le briquet mais Yvette tente de
les reprendre.
Mr Ledoyen s’éveille soudain. Yvette et
Nestor s’immobilisent. Il les observe une seconde puis se recouche. Nestor en
profite pour emmener Yvette au fond de la pièce.
Mr Ledoyen ouvre grand les yeux la
seconde d’après.
Mr Ledoyen – C’était quoi,
ça ?
Il se redresse et observe juste à
l’endroit où était Nestor et Yvette.
Mr Ledoyen – Faut que j’arrête
l’alcool…je vois des trucs bizarres.
Il va dans son bureau.
Nestor
– (Murmurant en tenant Yvette) Qu’est-ce qu’on fait
maintenant ?
Honorine
– (Même jeu) Je ne sais pas…Fais le mort, le revoilà.
Le directeur revient avec un verre d’eau
et un Efferalgant. Apparemment moins saoul
qu’à son arrivée. Il ne les a toujours pas remarqués au fond de la pièce.
Mr Ledoyen – Bon j’en étais
où ? (Il se replonge dans ses
comptes) Le 6 juin…9 000 euros…Comment je vais justifier ça ?
Qu’est-ce qui vaut 9 000 euros ?
Intrigués, Nestor et Honorine
s’approchent tandis qu’Yvette tente de repêcher le mégot dans l’aquarium. Monsieur
Ledoyen réfléchit face public.
Un éclair illumine la scène. Le
directeur ouvre de grands yeux.
Mr Ledoyen – Dans le reflet de la
vitre…Je viens de voir Frankenstein et une sorcière dans mon dos … Et une momie
qui essaye de bouffer le poisson rouge…
Nestor et Honorine s’observent. Le
directeur se relève et hurle en les voyant. Il s’évanouit sur le canapé tandis
qu’Yvette a récupéré le mégot trempé qu’elle essaye d’allumer tant bien que
mal.
Honorine
– Mince !
Il est mort ?
Nestor
– Je
ne crois pas. Juste une trouille bleue !
Honorine
– La
première de notre nuit citrouille !
Ils se tapent dans la main en riant,
comme après une mission bien accomplie.
Nestor
– Mais
qu’est-ce qu’il voulait dire avec ses 9 000 euros ?
Honorine
– Je
ne sais pas (Elle se penche sur le livre
de comptes) Oh, la, la la mais il y en a des sorties d’argent…Ça vient d’où
tout ça ?
Nestor
– Yvette !
Tu vas te transformer en torche !
Il bataille de nouveau pour lui
reprendre le briquet.
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